Plus d’une semaine après , Libération consacre sa Une à la levée des excommunications et Laurent Joffrin, un éditorial (Faute), signe d’une remarquable attention à l’Eglise catholique, ce dont on lui sait évidemment gré.
Sa conclusion – « A quelque chose malheur papal est bon. On constate que, dans leur majorité, les cathos n’aiment pas les fachos. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle » – témoigne toutefois d’une attention défaillante le reste du temps, mais ne boudons pas notre plaisir : à quelque chose malheur papal est bon, Libération découvre que, dans leur majorité, les cathos n’aiment pas les fachos. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle.
Laurent Joffrin voit toujours, dans la levée de ces excommunications, une faute. Soit. Nous ne lui demandons pas, à lui, de broder sur le thème de la brebis perdue et du geste de charité. Malgré tout, ce titre m’a interpellé. Et, si je ne vois pas une faute dans ce geste, si sur le principe, je soutiens le geste, pleinement, à défaut d’y voir une faute, je crains d’y déceler quelque erreur. Je le dis évidemment avec toute la crainte révérencielle que doit légitimement m’inspirer une telle hardiesse. Ajoutez trois courbettes si vous ne me trouvez pas suffisamment respectueux.
Car, à la question du Grand Rabbin Bernheim : le Vatican pouvait-il ignorer le négationnisme de Williamson ?, je crains de devoir répondre « non« . Celui-ci n’a fait que répéter des propos tenus préalablement au Canada. A la question : le Vatican pouvait-il retarder la publication du décret levant l’excommunication ?, sauf à ce que des vaticanistes avisés me détrompent, il me semble bien que la réponse devrait être « oui« . Les choses n’eurent-elles pas été profondément différentes si Monseigneur Fellay – qui multiplie maintenant les déclarations apaisantes – avait pu mettre à profit ce léger report pour sanctionner Williamson (en supposant que tel aurait été le cas) ? Certes, nous aurions manqué une date symbolique mais allez, l’un dans l’autre, je me serais passé du symbole.
Aujourd’hui, on apprend que le Pape « est « troublé » par cet épisode « très douloureux » ». Avec tout l’amour filial que je peux me mettre dans cette réflexion, et autant de protestations d’humilité, je me permets de le dire : c’est un peu court. Après Ratisbonne, le Pape avait exprimé le même trouble… Je le crois évidemment sincère. Mais on ne peut ignorer la réalité du monde médiatique. Une chose est de se laisser mener par lui, une autre est d’en négliger le fonctionnement, et de s’étonner, un brin naïfs, de la réaction suscitée.
Comme Monseigneur Hippolyte Simon l’a exprimé, il faudra faire un sérieux debriefing sur la communication vaticane. En effet, l’information a fuité du côté de certains membres de la FSPX dès le mercredi 21 janvier, mais les évêques n’ont été officiellement informés que le samedi 24 janvier, avec le reste du monde. Ce dimanche, j’évoquais cette affaire avec un prêtre de ma paroisse ce dimanche et il me disait la semaine terrible qu’il a passé, pressé de questions, et soumis aux rebondissements médiatiques auxquels il fallait ensuite s’adapter. Le Pape a réagi, mais trois jours plus tard. Et la lettre, si claire, de Monseigneur Simon, n’est elle-même intervenue que le jeudi 29 janvier, après 5 jours de tempête.
Certes, il ne sert à rien de récriminer aujourd’hui, mais il faut noter que, loin d’être la marque d’une noble indépendance de l’Eglise vis-à-vis des medias, un tel scenario risque fort d’avoir préjudicié à l’objectif même de réconciliation poursuivi par le Vatican. Non, le temps des medias n’est pas le temps de l’Eglise, mais foin de snobisme contra-médiatique : c’est peut-être bien l’unité même des catholiques que cette communication « imparfaite » a mis en péril.
Car la levée des excommunications était déjà un objectif des plus ambitieux, évidemment susceptible de susciter des oppositions. Alors, fallait-il, pour le bien de tous (membres de l’Eglise et de la FSPX), maintenir ce projet dans de telles conditions ? Pouvait-on encore espérer une réaction d’accueil fraternel, quand les fidèles catholiques se voient soudainement rendus comptables aux yeux du monde de propos qu’ils réprouvent unanimement, tenus par un homme qui, de surcroît, n’exerce même pas son activité au sein de l’Eglise catholique ?
Pouvait-on espérer – sauf à entretenir des illusions coupables sur la sagesse collective – que cela suscite une autre réaction qu’une réaction bien humaine de différenciation ? Regardons les réactions, depuis ce jour : malheureusement, il semble que cette décision, dans ces circonstances, n’ait fait que jeter du sel sur les plaies. Les « parties » s’affrontent, peut-être plus encore qu’hier, avec de nouveaux griefs. Pour l’éviter, il aurait fallu à tout le moins que les évêques soient dûment informés, et préparés, afin de pouvoir se livrer à un travail d’explication immédiat.
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Alors maintenant, on fait quoi ? On se contente de prendre acte, et d’espérer s’en sortir mieux la prochaine fois ?
Pietro de Paoli a raison d’écrire :
« Oui, la levée de l’excommunication, annoncée comme elle l’a été, est pour le moins une faute de communication, oui, il y a scandale. Mais il y a pire, il y a le silence, le chagrin, les larmes, l’impuissance de ceux pour qui l’Évangile passe avant toute chose. Et avec eux, je pleure. »
Et il y a nous, notre attitude. Nous, de chaque « côté », et nos protestations de catholicisme. Aujourd’hui, il faut prier pour que tous les « hommes de bonne volonté » se soucient de rendre possible cet objectif : l’unité des catholiques. Qui sait ce qu’il adviendra si on la réalise (à cet égard, l’interview de Rémy Brague, toujours dans Libération, n’est pas inintéressante) ? Que chacun ait à cœur de dépasser le couac de communication, de ne pas en rester l’esclave. Que chacun se soumette à cette parole qui nous est commune : « que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé« . Or, quel est donc le spectacle que nous donnons aujourd’hui ?
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Je voulais plagier Martin Luther King, dans un final épique. Faire le rêve qu’un jour les fils des « intégristes » et les fils des « progressistes » « puissent s’asseoir ensemble à la table de la fraternité« . Finalement, j’ai mieux, puisque lui-même, dans son fameux discours, « plagiait » Isaïe.
« Dans le désert, frayez le chemin de Yahvé; dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit comblée, toute montagne et toute colline abaissées, que les lieux accidentés se changent en plaine et les escarpements en large vallée; alors la gloire de Yahvé se révélera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de Yahvé a parlé. «
Inspiré du même Isaïe, j’ai en tête ce canon magnifique :
« Ecoutez, le temps viendra / Les hommes un jour sauront la Vérité / Le lion s’étendra près de l’agneau / Et nous fondrons nos piques pour des faux / Et des socs pour des herses / La paix sera notre combat / Faîtes que ce temps vienne »
Peut-être faudrait-il que nous nous le répétions en boucle avant de réagir publiquement ?
Pour les commentaires, je vous donne rendez-vous sous le billet correspondant du blog de La Croix.
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