A vin nouveau, outres neuves ?

Vous me pardonnerez, peut-être, ces publications en retard, qui vous feront un peu remonter l’actualité de cet été. J’avais, moi aussi, besoin de distance.

Si les constitutionnalistes osaient, ils poseraient cette colle à leurs étudiants en septembre : quel est le comble pour un Président de la République ? C’est d’écrire aux Français pour louer le parlementarisme et la stabilité institutionnelle après avoir négligé et contourné le Parlement pendant 7 ans, méprisé tout ensemble les Présidents des deux chambres et la Constitution en se contentant de les informer de la dissolution là où son article 12 exige leur consultation, et d’avoir plongé le pays dans une crise institutionnelle, pour ne pas dire une crise de régime. L’audace le dispute au culot lorsque, affirmant que les électeurs auraient « appelé à l’invention d’une nouvelle culture politique française », Emmanuel Macron ponctue sa lettre d’un solennel « j’en serai le garant ». Les électeurs n’ont appelé à rien. Dans un sauve-qui-peut général, ils ont placé des sacs de sable là où les digues avaient rompu, votant pour des candidats dont bien souvent ils réprouvaient le programme. Peut-être espèrent-ils maintenant cette nouvelle culture politique, mais sous la garantie de celui dont l’exercice du pouvoir a toujours été contraire ? Sans façons.

De fait, la Vème République est entrée dans l’ère nouvelle des majorités relatives. Après celle de 2022, la majorité de 2024 est si relative que le vocable même de majorité serait abusif. D’aucuns s’en réjouissent. Coalitions et compromis offriraient une pratique plus responsable du pouvoir et plus durable dans ses réalisations puisqu’elle associe des sensibilités politiques diverses. Ce serait l’occasion de rejoindre la pratique de pays qui ne connaitraient pas nos trop gaulois affrontements. Possible. Espérons. Mais sans idéaliser ces pratiques. La culture politique de l’Allemagne est-elle plus raisonnable quand elle peine à contrer la montée d’une AfD aux relents authentiquement néonazis ? Celle des Pays-Bas, où Geert Wilders a pu former le gouvernement et obtenir un tiers des portefeuilles ministériels pour son parti, d’extrême-droite ? De la Belgique, qui vient de voir un nationaliste flamand appelé à former le gouvernement ?

Il ne s’agit pas de nier toute influence des institutions sur la pratique politique. On pourrait d’ailleurs revenir sur cette autre promesse oubliée d’Emmanuel Macron : introduire à tout le moins une part de proportionnelle dans notre mode de scrutin. Notre jeune expérience nous permet d’ajouter à son évaluation, qu’une dose de proportionnelle éviterait aux électeurs de se résigner à des votes contre-nature, ou de se détacher de la vie politique de leur pays. Nous pourrions aussi revenir partiellement sur le non-cumul des mandats, qui a aussi le tort d’accentuer la déconnexion territoriale du pouvoir, privant Paris des capteurs et relais indispensables. Mais sans illusions excessives. La parabole dit qu’« à vin nouveau, outres neuves ». Elle ne compte pas sur les outres pour rajeunir le vin.


Photo de Remo Vilkko sur Unsplash


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3 commentaires

  • Oui, il est étonnant qu’un homme aussi intelligent ait pu manquer à ce point de sagesse et de clairevoyance. Votre analyse, qui me semble juste, suggère que l’orgueil est souvent le prélude à la dispersion des superbes…
    Il me semble que, depuis 2017 nous sommes entrés dans une phase active de recomposition du paysage politique. Depuis 2022, l’accélération est sensible et elle risque de se poursuivre : la dissolution de 2024 était une surprise, mais celle de 2025 apparait déjà comme le scénario le plus probable…
    Les institutions de la Vème République ont fait leur preuves ; espéront que les tentations d’en faire un mauvais usage ne nous renverrons pas vers l’instabilité chronique et le règne des partis et des idéologies sur notre vie publique.

  • Merci ! Pour la proportionnelle, rendons à César ce qui appartient à César, c’est avant tout la droite sénatoriale qui a bloqué la réforme constitutionnelle. Sur le fond, je reste assez dubitatif. L’Assemblée n’a jamais été aussi proportionnelle et on voit bien qu’on ne sait pas quoi en faire. Deuxièmement cela épargnera aux partis de faire l’effort d’une campagne locale et sérieuse pour se contenter de faire élire des parisiens sur quelques messages nationaux de posture. Et troisièmement on ne supprime en rien le problème que vous décrivez et ressentez sur le vote majoritaire à 2 tours, éventuellement on l’atténue un peu. Bref, ça ressemble à une idée attirante car nouvelle mais ça ne me semble pas résoudre le problème d’une classe politique immature et pas au niveau, au risque même de l’aggraver. La réinstauration du possible cumul élu local – élu national me semble plus prometteuse.

    • Merci pour votre réponse. Sur le fait d’épargner aux partis une campagne locale, ça n’est vrai que si nous sommes une proportionnelle intégrale. Je ne suis pas, moi-même, très fan de la proportionnelle par principe, dans la mesure où cela peut favoriser une carrière d’apparatchik. Mais…

      1) il peut s’agir d’une part de proportionnelle;
      2) cela peut aussi éviter les parachutages absurdes où des bons candidats sont envoyés dans des circos dont ils ignorent tout;
      3) il y a, aussi, des personnalités susceptibles d’être de bons députés (à tout le moins pas plus mauvais que les autres) sans avoir un ancrage local développé. S’ils ne représentent qu’une petite part de l’AN, je pense que la contribution de certains peut en valoir la peine

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