2024, dans le camp des démocraties ?

Pour clore l’année, Vladimir Poutine a procédé à l’attaque de missiles la plus massive depuis les premiers jours de la guerre, frappant un nombre considérable de cibles civiles. Il s’est rappelé au bon souvenir de nos pays, oublieux des horreurs infligées, lassés de cette guerre d’annexion et in fine d’annihilation qu’ils ne subissent pourtant pas. Les démocraties vont-elles une fois encore, en 2024, démontrer leur faiblesse et leur inconstance ? Gronder puis oublier. Invoquer leurs valeurs puis se replier derrière un prétendu réalisme humiliant. Ce faisant, il faut craindre au moins trois effets. Le premier est évidemment d’aiguiser les ambitions de Poutine. Seuls ceux qui juraient que, en leader rationnel, il n’attaquerait pas l’Ukraine peuvent être certains qu’il s’arrêtera là. Le deuxième est d’envoyer un signal à tous les régimes autoritaires en quête d’aventure et de justification militaires. Le troisième frappe au sein même des démocraties, en alimentant le fantasme du leader fort et autoritaire auprès des déçus de leur faiblesse. Le sentiment d’impuissance de démocraties en manque de vision et de détermination n’y est vraisemblablement pas étranger. Le « réarmement moral » des démocraties passe par une fermeté renouvelée.

Précisément, la fermeté n’est pas la brutalité. L’indéniable légitimité d’Israël à riposter au pire massacre de Juifs depuis la Shoah, en nombre et en horreur, de surcroît sur ses terres, se perd dans cette confusion. Face au nombre de victimes civiles, dont tant d’enfants morts ou mutilés, comment parler de victimes involontaires ? Si les bombardements peuvent encore se prétendre aveugles, on ne peut oublier l’assassinat de ces deux femmes dans la paroisse de la Sainte Famille à Gaza. Le visage de la plus âgée, fuyant les lieux, celui de sa fille tentant ensuite de la mettre à l’abri, sont apparus l’un après l’autre dans le viseur du sniper qui les a abattues. L’exécution par erreur des trois otages, pourtant torses nus, pourtant arborant un drapeau blanc, en dit encore long sur le sort réservé aux Palestiniens. Ce n’est pas un hasard si Israël s’en rend coupable sous le gouvernement d’un homme dont la corruption morale et financière, le cynisme politique aussi bien interne qu’à l’égard du Hamas, ont d’abord plongé cette démocratie dans sa pire crise politique, avant de la livrer à ses ennemis. Netanyahou a puisé aux registres illibéraux, sinon autoritaires, souillant au passage son pays. Ce faisant, il est sorti du camp des démocraties. Celles-ci peuvent soutenir Israël, elles ne doivent pas entretenir Netanyahou.

Céder au fantasme de l’homme fort s’accompagne d’une conflictualité renforcée, sans même renforcer le pays dirigé. Nul doute donc que les démocraties doivent continuer d’incarner un horizon désirable pour le monde. Elles ne le pourront qu’en restant fermes vis-à-vis de l’extérieur et cohérentes en leur sein.


A titre de complément, lire la tribune de Françoise Thom, historienne spécialiste de la Russie et de Poutine. Elle décrit clairement ce que seraient les conséquences probables d’une victoire russe en Ukraine. Alliance du KGB et de la mafia locale, le pouvoir russe « ne sait plus que produire des armes ». Il faudra bien s’en servir.


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4 commentaires

  • Merci de cet excellent article, brillant, comme d’habitude.
    Je voudrais apporter une preuve de plus de ce que nous dit Koz : c’est ce qu’a fait Mr. Maduro dans son pays, le Venezuela. Pour masquer les problèmes internes, de plus en plus insupportables pour sa population (en 2023 a été battu le record du nombre de personnes fuyant le Venezuela et passant par « le Darien », jungle colombienne qui conduit au Panama) il a organisé un référendum pour demander si « le peuple » demandait l’annexion pure et simple de la moitié du territoire du pays voisin, une région appelée « El Esequibo », en Guyana. Le résultat, bien évidemment, a été affirmatif à 95%. A partir de là, il demande au président du Guyana de lui donner ce que « son peuple a exigé ». Il faut savoir qu’il n’y a pas de communication terrestre possible entre le Venezuela et l’Esequibo qu’il veut annexer, « au besoin par la force ». Ce sont des puits pétroliers qui fonctionnent qu’il veut s’approprier. Oui, Monsieur Poutine fait des émules. LA preuve !

  • Un beau texte, qui est une vraie “nourriture pour l’esprit” comme disent les anglo-saxons.
    Pour ce qui est de Gaza, je vous trouve personnellement quelque peu injuste à l’égard de la force de défense d’Israël dont je crois qu’elle cherche sincèrement à éviter les pertes civiles, tout en étant confrontée à un adversaire qui sait se fondre dans la population et s’en servir.

  • Tout est effectivement question de cohérence…Il serait bon que nos démocraties se questionnent un peu mieux sur le sens donné à leurs actions (voire les soumettent au débat parlementaire !) – au risque de favoriser l’exaspération de populations déboussolées, ce qui est toujours propice à la montée des extrêmes… Emmanuel Todd et Jeffrey Sachs, en observateurs éclairés de notre monde occidental, nous alertent notamment sur les excès des dépenses militaires US et les désordres provoqués par un ordre mondial « fondé sur les règles » fonctionnant parfois comme une girouette devenue folle – plus que sur la personnalisation du pouvoir autocrate russe ou sioniste (il manque d’ailleurs singulièrement la Chine à votre tableau) ou le manque de fermeté de nos démocraties.
    Pour ma part, me rejoint surtout l’appel constant et répété du Pape François à faire taire le commerce des armes, comme un écho à la mise en garde d’Eisenhower sur le danger que représente le complexe militaro industriel pour nos démocraties.
    Vous défendez si bien la vie, de son commencement jusqu’à sa fin ! Je regrette votre tonalité martiale – comme je ne me remets toujours pas du soutien que vous avez donné à un engagement militaire en Ukraine contre un agresseur russe doté de l’arme nucléaire au lieu de valoriser la négociation – dans un conflit qui est source de tant de morts inutiles, encore aujourd’hui….
    Oui à la morale et à une éthique robuste, mais pourquoi suggérer que la force militaire doit en être l’expression ultime ?
    Villepin, quoi qu’on en pense, a le mérite de rappeler avec clareté et courage l’importance de la diplomatie dans un monde toujours plus dangereux et prêt à exploser. Je suis heureux qu’avec lui et Chirac, notre pays n’ait en son temps pas suivi aveuglement les injonctions américaines sur l’Irak.

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