Je devrai peut-être à Emmanuel Todd la résolution de la tension interne qui m’habite depuis des mois : catholique, réactionnaire, autoritaire, blanc, un peu con, à défaut d’être Charlie, je serais pleinement dans l’esprit du 11 janvier.
Je lis en effet que, selon le sociologue, ce sont les anciens bastions du catholicisme qui se sont le plus mobilisés, aiguillonnés en cela par les « valeurs » qu’il portait, à savoir l’autorité, la tradition, l’entre-soi et le rejet de l’égalité… tout en s’étant totalement dépris de la religion. Il en conclut à l’imposture, puisque la motivation véritable de cette mobilisation ne serait pas l’attachement aux valeurs républicaines mais le soutien, par rejet de l’islam, à un hebdomadaire lui-même islamophobe. Sans aller jusque-là, l‘hypothèse selon laquelle l’invocation de la laïcité serait le cache-sexe républicain d’un refus de l’islam ou, à tout le moins, de certains traits de l’islam hystérisés chez les radicaux, ne serait pas pour me déplaire. Et l’émoi causé par une telle position dans le landerneau consensualiste a évidemment quelque chose de très plaisant. Il faut pourtant, même à contrecœur, modérer la jouissance ressentie à emmerder le monde. Elle ne peut servir à elle seule de boussole pour la vérité.
Le catholique que je suis ne peut en effet cacher l’étonnement qui est le sien devant cette nouvelle mise en cause. Depuis quatre mois, nous avons vu passer le laïcisme militant, amalgamant les chrétiens à la violence islamiste qu’il ne faut pas en revanche amalgamer à l’islam, et même la prétention que le christianisme comporterait les mêmes incitations à la violence que l’on pourrait trouver dans l’islam. En revanche, l’idée que le catholicisme, même inconscient, soit le terreau majeur des saloperies du moment n’avait encore guère été soulevée.
Il y a ainsi quelque chose d’étrange dans la démarche d’Emmanuel Todd. Peut-être est-ce la menace qui guette tout théoricien : celle de vouloir présenter une explication globale du monde, à partir de facteurs ponctuels d’explication, celle de s’enfermer jusqu’à l’absurde dans ses propres catégories ? On dit trivialement que, lorsque l’on n’a qu’un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous.
En l’occurrence, je peux entendre l’évocation d’un « catholicisme zombie« , issue de ses travaux précédents menés avec Hervé Le Bras. Je n’ai aucune peine, bien au contraire, à imaginer que persiste dans notre pays sécularisé une imprégnation des valeurs chrétiennes, en particulier dans certains de ses territoires. Sans surprise, je m’émeus davantage de ce que l’on prétend rattacher au catholicisme.
Ainsi tout particulièrement du rejet de l’égalité comme valeur du catholicisme. Cette imputation est la plus irrecevable. L’Epître de Saint Paul aux Galates contredit sans conteste cette idée : « il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a plus ni esclave ni homme libre; il n’y a plus ni homme ni femme : car vous n’êtes tous qu’une personne dans le Christ Jésus » (Galates 3, 28). Tous ceux qui ont « revêtu le Christ » sont ainsi fondamentalement égaux. Et si les chrétiens s’adressent à Dieu en « osant dire » Notre Père, c’est qu’ils sont tous fils et filles de Dieu et, par conséquent, tous frères.
Ainsi encore de l’entre-soi. Le catholicisme comme entre-soi est un oxymore. Le catholicisme est universalité et plus encore, il est une foi en un Dieu d’amour et l’amour ne peut que vous envoyer vers l’autre. Et comment oublier encore cette exhortation du Christ : « allez, de toutes les nations faites des disciples ! » (Mt 28, 19) ?
Bien sûr, Emmanuel Todd se situe sur un autre plan : non pas la doctrine mais la traduction sociologique. N’allons pas trop vite et ne négligeons pas, déjà, toutes les études d’opinion qui soulignent que, plus le catholique est pratiquant, moins il vote Front National. Ceci étant dit, je connais bien sûr, dans la population catholique, la tentation de l’entre-soi, probablement même accentuée ces dernières années et, si cela peut faire plaisir, un goût de l’autorité. Mais, précisément, ces tentations ne sont pas catholiques. Et c’est là que se noue mon incompréhension : il semble bien qu’Emmanuel Todd aboutisse à des catégories doublement hors-sol, qui conduisent à l’absurde. Ainsi, pour le suivre, faut-il d’abord comprendre que les soutiens à Charlie empruntaient au catholicisme, ceux-là même qui se sont fait forts ensuite d’enjoindre les catholiques au silence, et de dénoncer #LesReligions. Il faut accepter l’idée que les manifestants de ces régions qui ne sont plus catholiques réagissent à partir de leur substrat de valeurs catholiques. Et il faudrait enfin considérer comme empreintes de catholicisme des valeurs qui en sont la négation. Avec tout le respect que j’ai pour la sociologie, et l’amour pour mon frère Todd, Emmanuel pousse le bouchon dans les orties : on ne peut pas continuer de teinter de catholicisme, même à titre de référence sociologique, ce qui en est à ce point détaché.
Au demeurant, si je suis disposé à entendre les critiques qui me sont apportées en tant que catholique, je me permets tout de même d’interroger fraternellement ceux qui me les adressent : l’entre-soi, l’autorité, la tradition, le rejet de l’égalité seraient-ils vraiment propres aux catholiques ? Allons… Notez que, si l’entre-soi et le rejet de l’égalité peuvent difficilement être sauvés, l’autorité et la tradition ne sont pas mauvaises en elles-mêmes. Et si Emmanuel Todd et d’autres en distinguent des traductions néfastes, comment oublier alors le mot célèbre de Chesterton : « le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et parce qu’elle vagabondent toutes seules » ? Je n’ose imaginer que les attentats de janvier, les polémiques qui s’ensuivent, et les travaux d’Emmanuel Todd, militent délibérément pour une restauration des vertus chrétiennes dans leur compagnonnage solidaire, une reconnexion des valeurs à la foi chrétienne, une conversion au catholicisme des catholiques sociologiques eux-mêmes, bref un retour au christianisme pour que la France cesse d’être zombie mais, à dire vrai, cette idée ne me paraîtrait pas saugrenue.
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Merci Koz pour ce billet, encore une fois sujet de réflexion voire de méditation. Ça m’énerverait presque d’être aussi d’accord avec quelqu’un, j’ai pas l’habitude…
Cela dit, si l’interprétation marteaucloutesque d’Emmanuel Todd semble intellectuellement peu satisfaisante, je pense qu’il n’a pas forcément tort sur la corrélation entre « géographie du christianisme » et « géographie du rejet des actes islamistes ».
Je suis moi-même tiraillé depuis un moment. Plus je lis le coran, moins je l’aime. J’en viens à penser que l’islam est peut être, en toute simplicité, une mauvaise religion. Dieu aime tout le monde, y compris le terroriste. Mais je suppose que le Christ rejetterait le terrorisme comme il a rejeté le coup d’épée de Pierre envers le garde romain. Suis-je, moi, en droit de détester l’islam, de le voir comme un obstacle entre mes frères musulmans et Dieu?
Je pense que oui. Je pense qu’on a non le droit, même le devoir de s’opposer à l’islam et pas seulement à l’islamisme. Et du coup, il y a une vraie difficulté, celle de ne pas aimer une doctrine sans transposer cette détestation vers ceux qui la suivent… Pas si facile, en fait.
Grenouille Bouillie a écrit :
Ca, il est assez possible que, autant pour des raisons de convictions personnelles et religieuses qu’identitaires, le rejet y soit marqué. Est-il plus marqué que dans d’autres strates de la population ?
Grenouille Bouillie a écrit :
Je suis en désaccord avec l’islam en tant que religion avec, toutefois, toujours la question de ma connaissance véritable de l’islam. Mais je ne peux notamment, comprendre l’existence de textes révélés contradictoires, ni adhérer à la vision du rapport à Dieu. Pour autant, il m’arrive bien souvent de désapprouver des idées sans, heureusement, en venir à détester leurs adeptes. Il y a en outre des musulmans qui développent un islam qui ne me choque aucunement, même si bien évidemment je continue de penser que ce n’est pas la vraie foi (dans le cas contraire, je me convertirais).
Enfin, si je peux me permettre, le sujet de ce billet n’est pas l’islam, dont nous ne devons pas non plus finir obsédés. Il est davantage le christianisme et, par principe, je suis plus intéressé par l’idée de renforcer et redécouvrir les valeurs du christianisme – voire le christianisme lui-même – et savoir dire et vivre ce que nous sommes, plutôt que de nous consacrer à déterminer ce que nous ne sommes pas (ie musulmans).
Bonne remarque. Je ne voulais pas faire un hors sujet ou faire déraper le billet.
Mais justement, déterminer ce que nous sommes, c’est en grande partie réfléchir à la réaction que nous considérons comme « bonne »? Déterminer comment être chrétien aujourd’hui revient en grande partie à déterminer comment réagir face au post-chrétien. C’est très différent, je pense, des premiers temps du christianisme où le message du Christ était nouveau, inconnu, surprenant. Aujourd’hui, il est plutôt perçu soit comme vieux, méconnu, rejeté (dans nos sociétés déchristianisées), soit comme abrogé, déformé, impie (vu par le musulman).
Pour revenir à mon questionnement du départ sans mentionner l’islam: comment aimer l’homme quand on déteste ses idées? Quelque chose qui me fascine toujours, c’est que le Christ lui même n’a pas converti tout le monde, qu’il y a eu un Judas. Je ne suis pas plus grand que mon Maître, donc certainement, je ne peux pas convertir tout le monde moi-même.
Alors faut-il se contenter, c’est peut être le sens de vos remarques, de présenter le christianisme en positif en évitant autant d’insister sur l’erreur qu’on voit dans la pensée de l’autre? Ça, ça me semble une piste très intéressante… Jésus a dit « on vous a dit… moi je vous dis… », donc il pointait quand même du doigt les idées fausses… Mais il y avait un vrai équilibre. À creuser…
Ne vous sentez pas obligé de répondre, je réfléchis juste à voix haute 😉
Je crois que ta critique, même nuancée, tombe un peu à côté. Comme tu le soulignes, Todd ne vise pas la doctrine mais sa traduction sociologique, mais en outre il ne vise pas la traduction sociologique contemporaine. Dans Libé, face à Joffrin, il précisait bien qu’il parlait des « valeurs sociales latentes du catholicisme ». Ce qui rend inopérant ton argument sur la pratique catholique et le vote FN. Et il faut bien reconnaître que si l’on considère ce qu’était, socialement, le catholicisme à la fin du 19e siècle et au début du 20e, l’amour du prochain n’est pas la qualité la plus flagrante.
Certes, et je te rejoins sur ce point, il est agaçant de voir cette situation présentée comme le « catholicisme » : pour schématiser, il me semblerait injuste (c’est un euphémisme) de dire que les Guermantes auraient été anti-dreyfusards à cause de l’Evangile… Mais pour un sociologue, ce qu’il appelle le « catholicisme » se ramène à ce que les catholiques en font et non au message qu’il véhicule.
@ Sr : mais c’est au contraire précisément ce que je dis. Je comprends très bien qu’il ne parle pas de la doctrine mais de l’application, mais par étapes successives, il s’éloigne à ce point de la doctrine, jusqu’à imputer des réactions liées au catholicisme à des personnes qui le rejettent voire le combattent, que cela en devient absurde. Je comprends parfaitement la démarche sociologique initiale mais je dis qu’elle atteint ses limites quand elle est à ce point sollicitée.
Je ne suis pas non plus très convaincu par la théorie de Todd. Il faudrait avoir un doctorat, je ne sais pas trop en quelle discipline, pour pouvoir discuter du sujet. Je constate par contre que l’on parle beaucoup plus maintenant dans les médias que dans le passé, de territoires français qui seraient plus catholiques que d’autres (i.e. La Bretagne, etc.). Dans le cadre des démarches administratives pour les licences de fédérations sportives, il faut de nos jours une copie de la carte d’identité. Vous serez surpris du nombre de petits garçons français qui ont même aujourd’hui plusieurs prénoms dont celui de Marie.
Hier j’ai beaucoup souri parce qu’il semblerait qu’il est illégal de regarder les prénoms dans les listes d’enfants dans les écoles…
En ce qui concerne l’islam, un ami qui a étudié la théologie à Oxford, bien avant la chute du mur de Berlin et du 11 septembre, me disait que son prof lui avait dit que l’islam était une sous-religion comparée au christianisme. Aujourd’hui je ne pense pas qu’une telle déclaration serait possible dans la Faculté de théologie d’Oxford où enseigne Tariq Ramadan et les étudiants musulmans doivent être certainement plus nombreux que les étudiants catholiques romains. Moi je suis ingénieur, donc pas une référence, mais je suis de plus en plus convaincu que l’islam est une sous-religion.
@ Koz:
Je t’entends, mais tu me sembles néanmoins perdre de vue que ce que Todd appelle les « valeurs sociales latentes du catholicisme » se réfère à la réalité sociale d’il y a plus d’un siècle. Pratique dont nous, catholiques contemporains, prenons justement le contrepied (ce qui explique qu’il impute « des réactions liées au catholicisme à des personnes qui le rejettent voire le combattent ») . Ce que je veux souligner c’est que Todd et toi ne vous référez tout simplement pas à la même époque.
Tout son travail scientifique repose sur une étude du temps long. Le fait est que les valeurs du catholicisme contemporain l’indiffèrent : pour lui, nous sommes un espèce en voie de disparition.
L’intérêt de sa démarche, s’agissant du 11 janvier, est de remettre en perspective le sens de cette mobilisation et de ne pas laisser à quelques uns le monopole de son interprétation. Son « dialogue » avec Joffrin illustre bien le pb : voir Joffrin expliquer, en substance, qu’il y a 3.999.999 français qui pensent comme lui montre assez l’idiotie profonde d’une interprétation univoque des manifestations. Au moins, Todd propose-t-il une explication scientifique, laquelle est évidemment discutable.
Non, je ne le perds pas de vue. Je dis simplement qu’une telle déconnexion doctrinale et chronologique n’a plus de sens. Lorsqu’on utilise le terme « catholique » pour désigner quelque chose qui ne renvoie ni à une réalité contemporaine, ni à la réalité de la doctrine, pour de surcroît l’imputer à des personnes qui sont les premières à refuser ledit catholicisme, on s’éloigne bien trop du sujet du propos pour que cela soit véritablement pertinent. On ne fait que construire une réalité qui puisse avoir le mérite de se plier à son analyse du monde.
Bonjour Koz et merci pour cet article, excellent comme bien souvent
Pour
Koz a écrit :
l’explication est assez triviale et effrayante. Les musulmans qui savent évitent de nous la donner et bizzarement les non musulmans qui savent sont assez discrets.
Il faut savoir que le Coran et la Sunna ont une histoire et reprennent une chronologie, celle de la vie de Mahomet et de son enseignement. Même mis par écrits 400 ans plus tard, c’est un élément majeur de ces textes. Pour simplifier, il y a 3 grands phases chronologiques : l’exil à Médine; le renforcement ; la conquête.
Au début, Mahomet est seul, sans forces, et il appelle à la tolérance notamment envers les Juifs qui l’accueillent. Quand il se renforce, il applique une défense active (jihad défensif), passe des alliances avec les Juifs et les Chrétiens et joue la victimisation. Quand il lance la conquête (jihad de conquête) il appelle à massacrer où soumettre tout ce qui ne lui est pas soumis, y compris ses anciens alliés juifs et chrétiens.
Selon la sourate que l’on lit et l’époque à laquelle elle correspond on a donc de très fortes contradictions. Ce qui ne pose guère de problème aux imams qui eux vont enseigner selon la situation des musulmans auxquels ils s’adressent en parallèle avec la vie du prophète : s’ils sont ultraminoritaires ils leur expliqueront les sourates de la première partie (être tolérant, respecter tout le monde et les autorités instituées), s’ils représentent une force conséquente mais minoritaire ils les appelleront au jihad défensif (victimisation, défense du prophète et de l’islam) et quand il seront majoritaires il leur expliquera les sourates de la conquête (soumission ou destruction de tout ce qui n’est pas musulman). Ils ne font en cela que suivre l’exemple de la vie de Mahomet, référence de tout musulman.
Le même musulman qui vivra paisiblement et sans rejet de personne sera donc en conformité avec l’islam s’il vit dans un pays où celui-ci est minoritaire. Si en revanche il devient majoritaire ou très important il aura l’obligation de participer au jihad.
Les Occidentaux de culture judeo-chrétienne ont l’habitude de transposer leur vision de la religion dans laquelle les loi révélées sont permanentes et uniques. Ils ne comprennent donc pas que l’Islam fourni une grille de règles qui puissent se contredire parce qu’en fait l’islam fourni des grilles et règles différentes selon sa propre situation.
En espérant avoir été suffisamment explicite.
Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles.
Effectivement, liberté egalité fraternité sont des valeurs chrétiennes, mais faut voir ce qu’on met dedans :
-Liberté : pour les chrétiens, Dieu nous a créé libre, c’est donc un prérequis de base pour adhérer à Dieu, s’unir à quelqu’un. L’idée révolutionnaire, et libertaire, c’est que la liberté est une valeur absolue.
-Egalité : si on a une égale dignité d’homme en tant que chrétien (bien démontré par Koz), on est très différents et c’est cette différence, faite de pics et de creux, qui fait qu’on a besoin des pics des uns pour combler les creux des autres. Aujourd’hui, l’égalité est devenue plus égalitariste et refuse les différences : si l’un est plus fort en piano ou en sport, c’est de la faute de la méchante société qui a défavorisé l’un et favorisé l’autre…
-fraternité : dans l’ideal révolutionnaire, c’est un moyen. On est frère car ensemble on pourra renverser le tyran. La fraternité, pour le chrétien, c’est la charité, c’est reconnaitre l’autre comme une autre image de mon père, mais qui n’est pas moi, et que je peux (et dois) aimer comme le père et comme moi même. Un amour qui suppose une liberté pour être véritable.
Au final, l’esprit révolutionnaire lit la devise dans le sens inverse d’un chrétien.
Merci Koz pour cet excellent billet !
@ Cedric G : ah mais j’ai bien saisi la raison d’être, mais ce que je ne peux comprendre, c’est que Dieu révèle autre chose que des vérités absolues et donc intemporelles. Qu’un texte dit révélé soit composé de textes circonstanciels, je ne peux le comprendre.
@ Lou : oui, oui. On se réfère à des vertus qui sont pondérées ou explicitées par d’autres dans le christianisme et on les a retirées de leur « philosystème », ou « théosystème » – comme on veut.
Koz a écrit :
Ca nous sommes bien d’accord. La seule conclusion possible étant donc que ces textes n’ont rien de revélé. Mais pour un chrétien une révélation de Dieu qui dirait qu’il faut massacrer ses adversaires est forcément un faux, donc nous nous en doutions déjà 🙂
Pour un musulman c’est plus subtil. Le Coran lui donne un programme de conquête pour imposer l’islam. Ce programme s’adapter donc aux phases de la conquête. Si Dieu veut vraiment imposer la soumission (sens de l’Islam en arabe) aux hommes via ses fidèles, il est assez logique qu’il leur donne un programme de conquête. Donc pour eux c’est cohérent que Dieu révèle les éléments adaptés à la phase de son projet.
Todt a pourtant presque entièrement raison.
D’abord, sa sociologie de la manifestation est entièrement exacte: des gens du centre et de la gauche, intimement persuadé de la totale non validité de l’Islam comme religion respectable.
Ce qu’il dénonce, (la zombification catholique) est géographiquement et démographiquement absolument vrai (il en a écrit des bouquins, pour le prouver). Simplement pour l’auteur de l’article qui sans doute fait semblant de ne pas comprendre, il s’agit de gens qui ne se disent pas catholiques, ou plus du tout, mais qui confusément rejettent l’Islam, comme antithèse de ce qu’ils sont, ou plutôt de ce qu’ils ont été (catholiques). Car cette religion vient de disparaitre, dans les dernières trente années. C’est un fait, il faut s’y résoudre. N’en reste que des zombies.
Le problème soulevé par Todt est de deux ordres. D’abord que cette manifestation fut parfaitement faux cul (catholique, en quelque sorte). Pas de provocations, car on avait peur, pas de caricatures, ou si peu, pas d’insultes, pas de haine. Simplement un slogan minimal, tellement ridicule et neutre, qu’à force de transparence, il ne séduisit que les naïfs en plus des cyniques.
Le deuxième problème est qu’il exprima, ce qui révolte Todt, mais l’homme est complexe, juif communiste des années 50, il croit encore à la prédominance des systèmes familiaux sur les sentiments nationaux, un haine palpable de la religion musulmane. On verra aux élections prochaines, mais il se pourrait que des décisions soient prises dans un avenir proche, précisément à cause de cela.
On voit les commentaires ici: un billet revendiquant le fameux « ni esclave ni femme » que même Alain Badiou proclame, l’honneur de l’occident chrétien, à milles lieux de toute ségrégation, de tout racisme. Commenté ici même par ce que je viens de décrire, évidemment.
Que Todt considère que cette engeance est mauvaise, vicieuse, raciste et je ne sais quoi encore, c’est son opinion, mais cela ne retire rien à sa description: il y a des combats idéologiques en cours.
françois carmignola a écrit :
On peut aussi proposer une autre perspective. Quand une religion est sociologiquement très majoritaire, la plus grande partie de ses adeptes est composée de zombies, dont l’engagement personnel est minime sinon nul, même s’ils se comportent en intégristes si leur milieu les y porte. Ce sont eux qui quittent quand le vent tourne, mais ils ne deviennent pas zombies, ils l’ont toujours été.
Et si aujourd’hui ils sont mollement agnostiques, mollement antiracistes, mollement tolérants, mollement laïques, et sans doute secrètement mollement antimusulmans, c’est parce que ils ont toujours été mollement.
Dans le fait qu’ils ont été, eux ou leurs ancêtres, mollement catholiques à un moment de leur vie, le catholique est moins important que le mollement.
Todt se trompe donc. Et je ne crois pas l’erreur innocente.
Grâce à M. Emmanuel Todd, j’ai appris que Paris, lieu de la plus importante manifestation du 11 janvier, était un ancien bastion du catholicisme ! Mes souvenirs de l’histoire de France ne concordent pas vraiment avec cette affirmation : Révolution de 1789, de 1848, l’épisode de la Commune, etc. ne plaident pas tellement en faveur de sa thèse.
François Carmignola : beaucoup ont dit que la manif pour tous, de très grande ampleur sans rentrer dans la polémique des chiffres, était largement catholique. Le mouvement ayant eu le plus d’ampleur (un peu plus soutenu dans le temps que Charlie) ces dernières années serait de la part de gens ayant disparu ?
Vous parlez peut être au niveau international…mais une messe à 6 millions aux philippines en janvier, ça fait beaucoup de disparus, et l’attrait des médias pour le chef des disparus, le pape, c’est déconcertant…
Je suis un peu étonné de votre affirmation triviale : faux cul = catholique en quelque sorte…je vous invite à remplacer catholique par juif, arabe, musulman, et vous vous apercevrez que c’est absolument pas politiquement correct, mais très Marine. Je suppose que vous vous en fichez, que vous seriez capable d’affirmer que les juifs seraient radins, les cathos faux cul et les musulmans violents, car vous êtes un libre penseur, et pas un vulgaire mouton (pas comme les catholiques en quelque sorte…)
Merci Aristote pour l’analyse intéressante et que je partage. Beaucoup moins de cathos, mais des vrais !
« il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a plus ni esclave ni homme libre; il n’y a plus ni homme ni femme : car vous n’êtes tous qu’une personne dans le Christ Jésus » (Galates 3, 28). Tous ceux qui ont « revêtu le Christ » sont ainsi fondamentalement égaux. Et si les chrétiens s’adressent à Dieu en « osant dire » Notre Père, c’est qu’ils sont tous fils et filles de Dieu et, par conséquent, tous frères.
Moi je dis et ce n’est que mon opinion: « A chaque jour suffit sa peine ». Matthieu 6, 24-34.
@ Lou:
Bonjour,
Votre dernière phrase m’interpelle : « Beaucoup moins de cathos, mais des vrais ! »
1 – J’y vois un vieux relent de jansénisme, mais j’espère me tromper ;
2 – sur quels critères fondez-vous votre jugement ? Personnellement, je suis infoutu de savoir qui est un vrai catho et qui ne l’est pas et j’ai bien trop peur de voir la paille dans l’œil de mon voisin et pas la poutre qui obstrue mon propre regard.
Bonne journée
Bonjour Koz,
Je me permets d’en ajouter à tes contradicteurs : j’avoue ne pas avoir bien compris le procès que l’on faisait à E. Todd. il faut dire aussi que je n’ai pas lu son livre, donc peut-être me faisais-une fausse idée de son propos.
Tu dis bien avoir perçu que ce qu’il désignait par « catholique » ne revêtait pas la même réalité que la tienne (que la notre, aujourd’hui), mais tu regrettes finalement que cet usage de la nation « catholique » soit par trop déconnectée des réalités qu’elle recouvre aujourd’hui. Il faut préciser tout de suite que c’est déconnecté des réalités que recouvre cette notion, pour un croyant. Mais les travers de ce vieux catholicisme correspond assez bien à l’image qu’en ont justement tous les enfants de ce vieux catholicisme, réfugiés aujourd’hui dans l’anticléricalisme.
Si bien qu’il ne me semble pas absurde de faire état de cette réalité dans le langage de ceux-là, soit parce qu’on est sociologue et qu’ils représentent un groupe social important, voire majoritaire ; soit parce qu’on est chrétiens, et qu’ils représentent une terre de mission.. Et donc au contraire même, avoir toujours plus conscience que les athées, les anticléricaux d’aujourd’hui, sont des fruits d’un vieux catholicisme dévoyé d’hier est important, pour qui a pour mission d’annoncer la bonne nouvelle : il doit savoir à qui il s’adresse.
Bien sûr, pour nous qui nous disons catholiques ou chrétiens, se voir répéter encore et encore que la culture chrétienne d’hier n’a pas été baignée que de bonnes valeurs (pour faire un litote), est gênant. Et ce même si on sait et qu’on a envie de redire que dans ces reliquats du passé que l’on rejette avec force aujourd’hui, bien peu tient à la doctrine et à la foi, et que beaucoup doit au « facteur humain » (nous dirions au péché).
Il reste qu’un athée d’aujourd’hui, lorsqu’il t’expliquera pourquoi il a rejeté la foi catholique, il te dira souvent qu’il a été éduqué dedans, et t’en donnera une définition dans laquelle tu ne te reconnais pas. Face à cela, oui on peut dire et redire que le catholicisme ce n’est pas cela. Mais pour un sociologue, comment nommer cette culture du passé dominée par le catholicisme, sinon comme le fait E. Todd, avec il me semble, toute la prudence qui s’impose à son analyse, à savoir ne pas l’amalgamer avec le catholicisme ou le christianisme d’aujourd’hui, en tout cas pas le pratiquant ou fervent, qui lui n’entre pas dans la catégorie « zombie ».
Il me semble que la situation apportée par le modernisme en occident est assez inédite dans l’histoire du christianisme, et les derniers papes l’ont suffisamment répété : une société majoritairement post-chrétienne (ou de catholicisme zombie, pour reprendre le terme de E. Todd) est une terre de mission totalement différente de ce que l’Eglise a connu jusqu’alors. Cela suppose d’actualiser le sens de la mission d’évangélisation, et de repenser complètement nos critères et nos façons de voir. Cela suppose de comprendre mieux la terre de mission, pour adapter la mission.
En cela, on peut se réjouir du travail d’E. Todd qui tente de préciser les contours de la société post-chrétienne occidentale, et en particulier ses travers. En plus, ces travers étant partie liés à la culture chrétienne, nous ne sommes pas préservé d’y sombrer à nouveau, d’où une double importance de bien les connaitre.
Alors, c’est vrai, pour bien faire, il faudrait aussi en relever ses atouts, de ce vieux catholicisme culturel, et d’ailleurs pas seulement en terme »d’apports du christianisme ». Pour bien faire, il faudrait faire état des valeurs d’aujourd’hui qui nous semblent bonnes et incorporables à la foi chrétienne telle que nous la comprenons aujourd’hui (qu’elles soient le fruit ou non de celle d’hier), à la manière dont saint Paul parlait aux grecs de leur « dieu inconnu » comme du Dieu de Jésus Christ.
La difficulté aujourd’hui est donc de dépasser l’obstacle des notions piégées : dire « je suis catholique » à un athée/anticlérical d’aujourd’hui, enfant du catholicisme d’hier, pose déjà des difficultés pour annoncer la bonne nouvelle. Peut-être que demain, à cause de ça, on ne s’appellera plus « chrétiens » par exemple, mais autrement : après tout, les premiers chrétiens, qui étaient d’abord et avant tout des juifs messianiques (et baptistes), étiquettes qui ne rendaient pas compte de la nouveauté de leur message, se sont spécifiés tour à tour comme nazoréens ou même comme jesséens, avant que de se désigner comme chrétiens, puis beaucoup plus tardivement comme catholiques, orthodoxes, protestants, évangéliques, etc. Peut-être que l’évolution de l’oecuménisme rebattra aussi beaucoup de cartes culturelles, à terme, qui sait. Ou peut-être qu’il s’agit juste de continuer à expliquer et témoigner, que non, la foi chrétienne ce n’est pas ce mauvais film qu’on t’a joué dans ton enfance, traumatisée par les curés et les grenouilles de bénitiers.
Mais globalement, il s’agit de toute façon de réussir à se dissocier du « catholicisme zombie », ce qui me semble plus prioritaire que de tirer sur celui qui tente de le définir et d’en mesurer les impacts sociaux. Enfin bon, voilà, c’était juste une opinion comme ça, hein.
correction de mon précédent commentaire : « tu regrettes finalement que cet usage de la nation « catholique » » il fallait lire « de la NOTION catholique ». Un lapsus qui me parait bien révélateur, tiens !
@ Pneumatis:
Bonjour Pneumatis,
votre réponse se tient, mais elle ne prend en compte qu’une infime minorité des « catholiques zombie ». Vous ne nous entretenez que des athées et des anticléricaux, qui sont loin d’être majoritaires en France. Je côtoie beaucoup plus d’agnostiques, de déistes, de gens qui s’en moquent comme de l’an 40, que ceux que vous nous décrivez. De plus, la difficulté de la nouvelle évangélisation réside surtout dans le fait que l’on s’adresse à des gens qui croient connaître la religion catholique. Il est bien plus facile d’évangéliser un « martien » vierge de toute notion que quelqu’un qui croît connaître son sujet (et je ne parle même pas du cas où celui qui « évangélise » maîtrise mal ledit sujet!).
@ François:
Mon propos précédent marche aussi pour les agnostiques, déistes, et indifférents. Quand je parle d’anticléricalisme, je ne le considère pas nécessairement comme virulent. Donc même problème : ils ont rejeté ou décidé d’ignorer une religion sur la base d’une conception qu’il en ont qui est relative à la culture d’un certain passé, et qui n’est plus celle que les croyants lui donnent aujourd’hui.
Sur la difficulté de la nouvelle évangélisation, regardez bien, je dis exactement la même chose que vous.
@Francois: Je vois moi aussi les fruits d’un renouveau du catholicisme sur la fin du XXe siècle, en particulier sous l’impulsion de Jean-Paul II (la fameuse « génération JP II »). Il n’a pas grand chose à voir avec le jansénisme, étant plutôt porté par l’accueil joyeux d’une belle diversité qui va de la messe en latin des « tradis en soutane » au chants en langue des « charismatiques », en passant par les mouvements d’action pacifique comme les veilleurs ou les sentinelles. Bref, une bien étonnante vitalité qui me semble de bon aloi.
Ce qui en fait des « vrais » chrétiens est que pratiquement tous ont dû batailler pour atteindre leur foi d’adulte. Ils ne nagent pas avec le courant, mais contre lui. Et donc leur foi est plus chaude, choisie et libre, plutôt que tiède et par défaut. Ils ne leur suffit plus d’aller à la messe. Ils ont appris à argumenter, à évangéliser, ce qui suppose aussi de se former.
Je ne pense pas qu’il y avait moins de vrais chrétiens autrefois, au contraire. On manque cruellement de prêtres et de missionnaires aujourd’hui. Et nos églises tombent en ruine. Mais je pense en revanche que la proportion de personnes qui vont à la messe par vrai choix personnel est beaucoup plus élevée qu’avant. C’est le sens que je donne à « vrai » chrétiens, pas du tout un sens de pureté confessionnelle ou de connaissance des sacrements.
Sur ce sujet, il a fallu attendre ma vie d’adulte pour rencontrer des gens qui osent parler des visions qu’ils ont eues, des guérisons qu’ils ont reçues. Dans ma paroisse, composée pourtant en majorité d’ingénieurs « terre à terre », on a des messes de guérison, des concerts gospel, des soirées de louange, etc. Dans les années 1970-1980, quand j’étais gamin, un truc pareil était juste impensable (ou alors j’étais dans la mauvaise paroisse). Ce qu’on faisait, c’était plutôt des sorties paroissiales « promenade à la campagne ».
Je rends grâce à Dieu de tirer d’un mal un bien.
Bonjour Koz,
je me souviens de ton billet de janvier où tu expliquais pourquoi tu irais à la manifestation du 11 janvier. C’était médité et réfléchi, c’était responsable et courageux.
En réponse, tu as droit au fiel de E Todd, tu aurais le droit d’être désappointé ou agacé.
Cependant, il faut lui pardonner.
En effet, la violence verbale contre les catholiques, assez habituelle au fond, reste cette fois-ci loin derrière celle des penseurs de gauche entre eux. Les propos de Caroline Fourest contre Todd (sur France Inter) sont d’une violence inouïe, tout comme l’esclandre entre elle et Caron.
A mon avis, s’ils se déchirent à ce point, c’est qu’avec les attentats, leur certitudes ont volé en éclats. La construction intellectuelle, qui faisait des migrants un véritable totem social, dont les particularismes et les conflits qui en découlent sont solubles dans l’égalitarisme, a vécu. De ce point de vue, cette violence est la conséquence d’une perte de repère.
En voyant les images du 11 janvier, j’ai éprouvé un malaise, difficile à identifier sur le moment. En fait, sans en avoir encore conscience, ce que j’avais sous les yeux était un enterrement, celui de nos illusions.
Non Pneumatis,
Pourquoi alors parler de « vieux catholicisme » ? La foi de mes aïeux n’a pas à être mise en concurrence avec la mienne ! C’est non seulement présomptueux, mais c’est très réducteur au regard de ceux qui nous ont précédé. Vous semblez revisiter l’histoire comme le font beaucoup de nos contemporains ; la faute (i.e. le déclin de la religion) ne revient pas à nos pères, mais à nous, à moi, à vous… Arrêtons avec les boucs émissaires et acceptons d’être ce que nous sommes vraiment : pas très bons et pas très convaincants, même avec des circonstances atténuantes (cf. point n° 2).
Est-ce à dire que tout est foutu ? Bien sûr que non ! Le martyr actuel des chrétiens interpelle plus qu’on ne le croit nos compatriotes. Je n’ai jamais eu autant de questions sur ma foi que depuis que l’EI décapite à tour de bras.
PS : désolé si je me suis trompé sur vos intentions.
@ Grenouille Bouillie:
Je suis (presque) d’accord à 100 % avec ce que vous écrivez ! C’est dans la diversité que le catholicisme réunit. J’ai eu le bonheur d’habiter en Afrique, chrétienne et musulmane. Les messes célébrées là-bas sont d’une ferveur que nous autres Occidentaux, avons du mal à comprendre, pétris que nous sommes de nos certitudes. Cependant, la mode (passée ?) de tout transposer sans discernement ne convient pas forcément à notre mentalité. J’ai assisté, en France, à des messes qui se voulaient une transposition de ce qui se faisait là-bas. Il ne manquait qu’une chose : des Africains !
François a écrit :
@François, les vrais cathos sont facilement reconnaissables. Ceux qui ont le courage d’écrire ou de se lever: Mourir debout oui. Ceux qui se taisent, voilà les faux amis. Et donc à mon sens les faux cathos. Peut – importe leur révolte à ceux-là. Un jour il faut savoir la dire. Pour que le silence de la nuit laisse place à l’amour. Chez vous, chez nous. Dans notre monde. La maladie qui atteint les cathos est le silence. Battons-nous.
@ Une passante:
C’est vrai ! Ce que vous écrivez est parfaitement juste ! Un vrai catho est un type qui a le courage de sa foi ! Je suis un ancien militaire, et pour ce qui est du courage, je pense avoir vu pas mal de choses : le type qui fanfaronnait avant et beaucoup moins après, le type discret qui se révélait être un vrai héros, etc. Personnellement, je n’ai aucune idée de ce que je pourrais faire en pareille circonstances. Il paraît que j’ai été courageux (mais était-ce du courage ou de l’inconscience ?). Et le serai-je demain ? Vous nous parlez de mourir debout. Pourquoi pas, mais je vous rétorque simplement : avant de choisir sa dernière posture, ayons la politesse et la sobriété de savoir mourir tout court, sans fioriture. C’est déjà pas si mal…
Les dynamiques décrites par Todd peuvent très bien être pertinentes, ce n’est que leur lecture totalitaire qui pose problème.
Quand, pris de névrose, quelques types se mettent à tirer des balles dans la tête d’autres types qui n’en demandaient pas tant, l’être humain moyen est ému. Si l’événement est médiatisé l’émotion est d’autant plus massive. Elle devient mouvement de foule, médiatisé à son tour. Fondamentalement le mouvement est surtout l’expression de réactions humaines de base, anté-religieuses.
Se greffent là dessus des phénomènes sociaux plus conjoncturels. Commentés par Todd, et impliquant les religions présentes ou – principalement d’après Todd – précédentes. Analyser ces phénomènes n’est pas inintéressant, mais négliger la pulsion fondamentale pour ne retenir que les subtiles variations conjoncturelles est un aspect qui me pose problème dans le discours sans nuances de Todd.
Les zombies dont on parle ne furent pas dans la manif pour tous, bien entendu, et on ne peut qualifier ces manifestants là de « faux culs »: à rebours de l’opinion majoritaire, ils furent courageux et francs, bien au contraire !
Non,non, c’est bien « l’esprit du 11 janvier » qui l’est et c’est bien pour cela que la dénonciation de Todt fait aussi mal à gauche. Car le fameux « esprit » ( d’une nature différente de celui que d’autres on théorisé) est d’abord celui d’une marche blanche sacrificielle, forme habituelle de la célébration collective à gauche: un évènement navrant, à regretter, que l’on célèbre pour qu’il « ne se reproduise pas ».
Nous avons eu ce semestre, en plus, le seul camp de concentration français, les massacres de Sétif (célébrés pour une fois en Algérie) et aussi l’esclavage (Madame Taubira nous fit par de ses souvenirs antérieurs à 1848) . Il y eut aussi 1 viol d’enfant, sans parler du gamin victime d’une balle perdue à Trappes.
Ce type de cérémonie a deux objets, en plus de faire faire de l’exercice aux zombies: rassembler autour de ses dirigeants le peuple afin qu’il oublie la non application du principe de précaution à l’origine du drame célébré (ce que dénonce Todt) , et ensuite insulter et terroriser ceux qui sont gênés par la chose, évidemment une récupération politique honteuse par un pouvoir aux abois.
Il lui fallu tout de même 5 mois pour reperdre la popularité qu’il y gagna…
Oui, il y a du chrétien là dedans, on a une captation du cérémoniel des processions, ou de la célébration doloriste catholique de la grande tradition. Mais travestie, devenue folle, hideuse, contrôlée par des sorciers satanistes, et qui transforme les gens en cadavres chancelants, les fameux zombies.
Que la cérémonie en question ait pu donner l’occasion de fêter (et oui) l’assassinat de vieux soixante huitards impies, ceux là même qui passèrent leur vie à dénoncer l’hypocrisie des religions sans foi eut un coté affreusement triste, une vengeance du diable, en quelque sorte.
On y ajoutera la défense d’une liberté d’expression qui oubliait (on imprima les slogans trop vite) des juifs assassinés pour d’autres raisons.
Bref, en réalité un échec et un crève coeur absolu, bien dans l’esprit du pouvoir actuel et plus généralement de tout ce qui fait les « valeurs de gauche ». Fermez le ban.
François a écrit :
Moi-même fils de jésuite, je peux difficilement être accusé de jansénisme.
Je n’ai aucun droit de juger de la relation intime de qui que ce soit avec Dieu, et donc de décider de qui est vraiment catholique.
Il reste pertinent, sur le plan sociologique, de distinguer les catholiques qui pratiquaient régulièrement, y compris se confessaient, s’engageaint dans des mouvements d’Église, etc., des cathos qui allaient à la messe parce que cela se faisait dans leur milieu.
Todt est sociologue.
L’épitre aux Galates comme l’a détecté le grand sociologue Max Weber instaure l’idée dans l’humanité de l’égale dignité des êtres humains, donc pas, cher Koztoujours, l’égalité pleine et entière telle que la gauche en fait son projet et attachement depuis la fin du XIXème siècle sous l’influence marxiste qui projette « une fin des temps socialiste ».
Ce qui fait que le concept d’égalité d’Emmanuel Todd ne repose évidemment pas sur la considération a donner à autrui en tant qu’être humain, puis que les fins dernières socialistes devant être réalisées au plus tôt se retrouvent vite à être soumises à la contrainte politique allant jusqu’au crime comme on a pu le voir dans tous les régimes totalitaires (qualifiés au XXème siècle à certains moment de progressistes).
L’Eglise s’est toujours opposée à cela, puisqu’au lieu de cette égalité venimeuse politiquement et qui a fait beaucoup de mal historiquement, c’est le message porté d’espérance de la libération de tous ici et maintenant et à la fin des temps.
Tout ceci a été pensé et écrit par Benoit XVI. Dans la vision de l’Epitre aux Galates, il y a aussi la perception d’une nécessité hiérarchique, c’est à dire que Saint Paul même s’il raconte comment il a recadré Saint- Pierre à cette occasion, il fait bien attention avant de se remettre à sa place lui-même hiérarchiquement et à souligner que Saint Pierre est toujours celui en qui le Christ a placé sa confiance.
Il y a donc une double exigence : celle d’une égale dignité des êtres humains (qui inspirera tout l’Occident) mais dans une verticalité hiérarchique nécessaire.
@ Aristote:
Bonjour au fils de jésuites 🙂
Merci de vos précisions. Je m’en doutais et c’est pourquoi j’avais pris cette précaution scripturale. Il n’en reste pas moins vrai que, même pour un sociologue, il reste très difficile de trier le bon grain de l’ivraie. Méthode du doigt mouillé ?
Un point de détail qui m’a fait sourire : il s’agit de M. Todd et non de M. Todt (ministre de l’armement du Reich et fondateur de l’organisation éponyme).
Je n’ai pas lu Emmanuel Todt ni aucun des articles de presse concernant ses derniers écrits et je ferais mieux sans doute de me taire sur ce sujet. Moi ce qui me pose problème en tant qu’ancien ado, jeune homme de feu l’union de la gauche c’est François Mitterrand qui nous engage dans la première guerre du Golfe. Je n’ai pas compris pourquoi il l’a fait. Je n’ai pas compris non plus la précipitation de Nicolas Sarkozy en Libye. Et que l’on puisse se retrouver dans un état de guerre à cause des dessins de Charlie Hebdo, de ce Charlie Hebdo que j’aimais à 20 ans, perturbe mes habitudes de pensées.
@ thierryl b> : vous semblez penser, et même présupposer, que je veux me référer à l’égalité telle que conçue par Todd et d’autres. Pourquoi ? Je me réfère à l’imputation d’un rejet de l’égalité propre au catholicisme ou à ses valeurs latentes. On peut bien évidemment, dans un second temps, raffiner l’analyse et distinguer les conceptions de l’égalité.
===
Ps, a tutti, Emmanuel, c’est Todd. Todt, c’est soit Jean soit l’organisation.
@ Koz:
Je vous remercie d’avoir répondu,
J’ai des doutes sur l’appel au thème de fraternité bibliquement et même dans l’enseignement du Christ à travers l’Evangile, car il ne semble pas directement induire celui de l’égalité.
Je resterai prudent car je peux me tromper car je ne suis pas un spécialiste et n’ai que les éléments de synthèse globale dans l’ouvrage du Père Etienne Nodet « L’odyssée de la Bible »
Me risquerai-je à un amalgame ? Ce commentaire inculte (jeu de mot) de M. Todd me rappelle la petite phrase de Cohn-Bendit (à laquelle le Père Rougé a répondu depuis dans une tribune, au Figaro je crois ?), jeudi 23 avril sur Europe 1, à une heure de grande écoute : « Les États-Unis, c’est, dans beaucoup d’États, la peine de mort. C’est, si vous voulez, la civilisation judéo-chrétienne, c’est l’idée de la vengeance: ‘œil pour œil, dent pour dent’». Le même genre de contresens lamentable ou la même mauvaise foi (jeu de mot) : oubli que le Talion juif était un premier progrès par rapport aux vengeances disproportionnées des barbares, et oubli que Jésus-Christ a surtout enseigné la Miséricorde du Père et l’abandon de la vengeance. Nos élites (auto-proclamées) auraient-elles eu un séminaire récemment pour réviser leur anti-catéchisme ?
Todd à raison de parler de crise religieuse, il a raison de s’inquiéter du vide métaphysique qui affecte la pensée française.
Ce qui manque à son propos me semble-t-il c’est de faire le lien entre d’une part sa démarche, dont il dit et répète qu’elle est scientifique, rappelant que quant à lui-même il est un sceptique, et d’autre part cette crise religieuse et métaphysique. Car je crois qu’il n’y a de sortie possible hors de cette crise terrible que nous traversons sans retour lucide, en toute connaissance de cause, vers la ou vers une foi.
La pensée rationnelle, objective, scientifique… est fille de la pensée biblique. Tant que nous les opposerons les choses iront de mal en pis. La question n’est pas d’aller ou de ne pas aller à la messe, elle est de croire et de savoir que l’on croit, seul rempart contre les croyances dissimulées, non reconnues comme telles, par exemple en la science, dans le Grand Soir, en l’Europe, en l’absence de dieu, en la laïcité, etc.
Comment sortir des affrontements fratricides sans prendre du recul, admettre le mystère de l’existence, croire en l’infini, en l’inconnaissable, en une transcendance ?…
Ce que j entends par un vrai catho, c est un catho de foi et pas un catho de sociologue. Une personne qui vit de sa relation avec le Christ et qui trouve ça tellement beau d aimer Jesus qu il veut le partager autour de lui. « Revêts-moi de ta bonté Seigneur et qu au long de ce jour je te révèle ». Pas forcément un spécialiste du dogme et de l exégèse, mais une personne qui vit sa foi meme quand il descend ses poubelles.
Alors oui effectivement, on ne va pas dire lui ca en est un et lui non, car c est plutot lui il est en chemin. Il s agit pas de juger les gens. Mais peut etre ai je frequente beaucoup de zombies a l eglise pendant ma jeunesse et maintenant je rencontre des gens qui sont des étincelles. Et ca suffira pour mettre le feu au monde (dans le sens du feu qui eclaire rechauffe et purifie, pas le feu qui ravage)
François a écrit :
Oui, mais c’est vrai de tous les travaux de tous les sociologues ! Quel que soit le sujet traité, ils ne peuvent considérer que le for extérieur, jamais le for intérieur. Le sociologue n’aime d’ailleurs guère le psychologue, qui a l’outrecuidance d’introduire du jeu dans la mécanique sociale.
@ Aristote:
Oui, les méthodes des sociologues ressemblent furieusement à celles des sondeurs : tout est dans la formulation de la question et à qui vous la posez ! Après, ils ne comprennent pas lorsqu’ils se sont plantés…
@ lou:
Bonsoir Lou,
Désolé mais je vais être provocateur 🙂 Et cela sert à quoi d’avoir des gens qui sont catholiques y compris lorsqu’ils « descendent leur poubelle », s’ils (en fait, nous) sont incapables de (re)convertir le moindre gugusse, à epsilon près ? Des catholiques « zombies », je pense en avoir rencontré autant que vous, si du moins mon jugement sur ces personnes est pertinent, ce qui reste à démontrer. Je vais tous les dimanches à la messe (et ce sont des messes ordinaires, si vous voyez ce que je veux dire). Des catholiques « zombies » m’entourent, me cernent encore, et ce dans la même proportion que celle de mon enfance. J’ai envie de vous dire : « arrêtons de nous mentir » ! Nous ne sommes bons ni convaincants ! Sinon, nous aurions reconverti depuis belle lurette la France entière…
Certains essais en disent plus long sur leur auteur et leurs fantasmes que sur leur objet. Là il faut avouer que la thèse laisse perplexe : les rassemblements du 11/01 seraient en fait une manifestation d’islamophobie de masse des foules bobos carburant sans plus le savoir aux valeurs dites catholiques. J’aurais pensé qu’il s’agissait surtout de trouver une catharsis sociale suite à une période d’extrême tension et d’impuissance ; ben non.
J’ai l’impression que certains ont décidément du mal à ce défaire de leur bagage marxiste. Il leur faut absolument du prolétaire et de la dialectique. Donc, comme les grandes concentrations de prolétaires ont disparu suite à la désindustrialisation et au machinisme, ont les remplace par les grandes concentrations des banlieues. Les musulmans deviennent les nouveaux prolétaires [obligatoirement] oppressés et humiliés, et on peut repartir pour un tour ; il suffit de mettre en place une dialectique islam/catholicisme et la tringlerie de refonctionner comme en (18)40. Objection : il n’y a plus de catholiques en France. Solution : on fait des petits blancs des catholiques zombis. Alors notre société, dopée aux valeurs du catholicisme, est un obstacle radical à l’acceptation de l’islam. Conclusion ?
Evidemment quand des islamistes massacrent des citoyens (athées, musulmans – et intégrés, voyez-vous ça les sociaux-traitres- et Juifs), ça dérègle la tringlerie et la théorie de la victimisation. Un prolétaire bourreau, ça n’existe pas.
Enfin les valeurs énumérées n’ont rien de spécifiquement « catholiques » au sens religieux. On les retrouve partout ailleurs (de fait elles sont vraiment catholiques!), y compris dans l’islam ; allez dire à un sunnite qu’il rejette l’autorité et la tradition… Quant à l’entre-soi c’est une blague. Où alors de la provocation : le laïcisme ne cesse de vouloir confiner la religion, et ensuite on dénonce l’entre-soi ? Le catholicisme est tellement dans l’entre-soi qu’il est d’ailleurs répandu au quatre coins du monde.
Il y a sans doute qqs éléments de vérités bons à prendre dans la thèse d’E. Todd, mais elle est tellement recouverte d’aberrations qu’il faudrait une charité toute chrétienne et même catholique pour les trouver. Il faut dire d’un autre côté on a tellement surchargé ces rassemblements de motifs divers et improbables qu’on comprend la démarche de démythification.
@ Courtlaïus:
Quand je vois de grands rassemblements, je me réfère plutôt à René Girard qu’à Todd : l’objet du scandale, CH, est devenue la victime finalement déifiée et le meurtre fonde l’unanimité retrouvée de la foule.
Mais là où je rejoins Todd, c’est quand il refuse de voir dans ces rassemblements une manifestation de la vertu républicaine. Et c’est cela qu’on lui reproche. Il approche dangereusement du statut de prochaine victime expiatoire… 🙂
@ Aristote:
Bonjour,
là, je suis entièrement d’accord avec vous. Il est évident que dans les 252 pages que comporte son « Qui est Charlie ? » il n’y a pas que des bêtises. Ce qui fait frémir une partie de nos bien-pensants, ce sont des phrases telles que : « Le basculement de la France dans l’incroyance généralisée (…) pose des problèmes d’équilibre psychologique et politique à la population. » ou encore : « L’athéisme est générateur d’angoisse ». Je comprends que les laïcards soient furax !
@ François:
» Nous ne sommes pas bons ni convaincants ! » Je vais me risquer à une confession sur ce blog. Personnellement je ne suis pas bon. Aucun de mes garçons n’est devenu prêtre. Aucune de mes filles n’est devenue religieuse. Et de 1972 à 2008 aucun de mes élèves n’est devenu prêtre. Aucune de mes élèves n’est devenue religieuse.
Todd m’a étonné car si je reconnais dans la volonté de faire consensus, dimension pour le coup très « catho » fondée sur une interprétation très élargie de Jésus dans Jean « Que tous soient un », je n’y vois précisément pas l’islamophobie.
Je pense au contraire ne pas être seul à refuser toute manifestation aujourd’hui. Parce que ou bien elle vise à se compter, à faire nombre, précisément parce que l’on a une position minoritaire, ou bien si l’on est majoritaire, manifester est un non-sens. Ou bien on manifeste pour faire pression et faire renoncer la majorité non par l’argument mais l’illusion de la force du nombre, et c’est bien peu légitime à mon sens, ou bien on a la majorité, et dans ce cas la manif est inutile.
Tout mon entourage a manifesté pour dire son indignation devant le meurtre pour un désaccord ou pour une caricature blessante. Je n’ai pas pensé que le manifester était nécessaire car je ne doute pas que 99% au moins de ceux qui résident dans ce pays, étrangers ou pas, sont hostiles au meurtre pour blasphème (le motif, soit dit en passant,de la crucifixion de Jésus, et c’est pour cela que ce mot pèse lourd dans notre culture) . Manifester, c’est au contraire retrouver d’autres gens, se sentir moins seuls à penser pareil. C’est tellement vrai que tous les participants à des manifs dépassant la centaine de milliers de Français se croient majoritaires, voire croient incarner le peuple. Or s’il existe des grévistes par procuration, (on peut vouloir faire grève pour demander quelque chose et ne pas pouvoir par crainte de représailles du patron ou de proches en désaccord, par manque de moyens financiers très souvent, etc.), les manifestants ont tort de se croire une minorité au non d’une majorité silencieuse. Toujours. Les majorités sont par définition silencieuses, elles n’ont pas besoin de se compter.
Le 11 janvier, il s’est donc passé une volonté de se montrer majoritaires pour affirmer que l’on est contre le meurtre en réponse à des paroles fussent-elles méchantes. J’en ai déduit que nous étions vraiment très peu sûrs de notre civilisation (manif de gens se sentant minoritaires) et que, persuadés de faire face à un mouvement terroriste de grande ampleur séduisant des millions de personnes, nous éprouvions pour certains d’entre nous l’envie de faire corps, langage eucharistique s’il en est, alors que nous sommes très loin d’être à feu et à sang, d’être en guerre de religion au sens du XVI° siècle français ou du XXI° siècle nigérian ou mésopotamien.
Sur ce point seulement, je puis suivre Todd; mais je pense qu’il fait un contresens majeur en voyant les islamophobes faux-culs rassemblés dans cette manif. Très largement, pour participer à cette manif, il fallait au minimum avoir une espérance que le consensus entre gens du Livre restait possible pour faire société. Et avoir soif de démontrer que l’on est nombreux à penser la même chose.
Lorsque les « manifestants pour tous » contre le mariage homosexuel ont cru être la majorité voire être l’incarnation du peuple, ils se trompaient. Ils représentaient une forte minorité, ce qui pèse plusieurs millions. Nous en sommes 65 dont plus de 40 majeurs.
J’interprète pour ma part la manif du 11 janvier comme la volonté étrange de montrer qu’une majorité d’entre nous est hostile au meurtre. Dans cette perspective, 4 millions c’est un échec. Alors pourquoi cette manif? Dans une démocratie aussi diverse que la française par sa géographie et son histoire, je ne pense pas qu’il existe le moindre sujet consensuel, et je pense qu’éprouver cela fait peur et pousse à se rassembler pour se croire non pas majoritaires mais unis. Un exemple assez éloigné et superficiel: seule une minorité de Français (20 millions) a assisté aux deux finales de la coupe du monde impliquant la France toutes deux des dimanches soir de juillet ce qui fait que les non assistants involontaires étaient rares (et pas moins nombreux en tout cas que ceux qui regardaient pour faire plaisir à un ou des proches). Ce soir là et les jours qui ont suivi, nul doute que ceux qui n’ont pas ressenti d’intérêt pour ces matchs de football se sont sentis marginaux, ils étaient pourtant majoritaires. Mais il était impensable de lire ou d’entendre cela dans des media. La recherche éperdue du consensus les concerne au premier chef. Et cette recherche, oui, elle a un fondement catho que je ne partage pas, que je ne partage plus. Et là, on a véritablement entendu ou lu les media présenter toute la France comme identifiée à Charlie DONC ayant manifesté.
Toute manif me semble ou suspecte (obliger une majorité à reculer) ou vaine (se compter sur un objectif où l’on est majoritaire). Hostile au mariage homosexuel, je n’ai pas fondé mon opinion sur des millions de manifestants mais sur les très nombreux textes que j’ai décortiqués. Certains de ces textes à eux seuls pouvaient faire changer d’avis des décideurs s’ils les avaient ébranlés par le raisonnement, mais certainement pas parce qu’ils incarnaient l’avis majoritaire sous prétexte que des millions de personnes défilaient. La majorité est un concept démocratique ni plus ni moins. Les chrétiens devraient savoir que Jésus n’était pas majoritaire et que notre paix civile suppose le fonctionnement majoritaire (ou par arbitrage judiciaire donnant raison à X contre Y). Cette souffrance-là a engendré et engendrera encore des volontés de manifester.
La manif factieuse nous mène au 14 juillet: la rue l’emporte. Et nous avons fait de cet événement notre Fête Nationale ce que je regrette profondément (le 4 août ou le 26 juillet eussent été tellement plus forts). La manif du 11 janvier nous mène au consensus: l’Unité l’emporte sur la dissension fût-elle argumentée puissamment.
Nous sommes en France les héritiers de ces deux manifs antagonistes mais dans lesquelles je ne me reconnais aucunement : celle de la rue contre le débat, que je crois la matrice de la guerre civile; et celle de la quête du consensus, quête que je crois la matrice des totalitarismes. Todd avait-il besoin d’en rajouter en faisant de 4 millions de gens sincères et paisibles des faux-culs islamophobes? Je ne vois pas sur quoi il s’appuie pour le démontrer.
Aristote a écrit :
Je ne sais pas si la théorie du bouc émissaire de René Girard est vraiment opérante dans ce cas précis : après tout la foule dont on parle n’a lynché et réclamé la tête de personne. En tous cas le bouquin d’E. Todd ne répondra aucunement à son besoin de comprendre les faits, dont les clés, qu’on le veuille ou non, se trouvent principalement dans l’islam même, et plus précisément dans son eschatologie (notamment l’idéologie qui sous-tend Daesh, en compétition avec Al Qaida). Les concepts fumeux des sociologues ne serviront qu’à embrouiller davantage les esprits et au final à perdre du temps et de l’énergie ; sur cette question il y a beaucoup plus attendre des intellectuels musulmans pour nous éclairer. D’ailleurs vouloir faire des événements de janvier une affaire strictement franco-française est une grossière erreur. Ce qui s’est passé s’inscrit évidemment dans une mécanique mondiale.
On dira que je rejoins d’une certaine manière la thèse d’E. Todd, au détail près que je ne suis pas allé manifester, et que « je ne suis pas Charlie ». Désolé au passage de dire que le l’humanité ne se partage pas entre les « Charlie » et les « non-Charlie. »
@ jfsadys:
Je le sais bien et je n’oublie pas les paroles du Christ rapportées par saint Jean : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. » C’est le personne qui est gênant ! J’en fais quoi de mes frères athées, agnostiques, musulmans, ou que sais-je encore ? Ils se démerdent ? Au nom de quoi dois-je me contenter de ma foi, même vécue à 1000 % ? Si nos papes successifs se sont emparés du thème de la nouvelle évangélisation, ce n’est surtout pas un hasard. La bonne question peut être formulée de la manière suivante : suis-je un bon chrétien si je me suis contenté de vivre ma foi ? Selon moi, non, mais je ne suis pas la Vérité…
Ce qui me frappe c’est l’extraordinaire absence de rigueur scientifique de tout cela.
Apparemment, c’est une pauvre corrélation entre les effectifs des manifs régionales pour Charlie et le caractère catholique historique de ces régions qui permet à Todd de construire son ahurissante théorie des zombis islamophobes.
Quelle est la valeur de la corrélation? On l’ignore. Quelle est la précision des mesures d’affluence? On l’ignore. Les méthodes de mesures sont elles consistantes d’une région à l’autre? Probablement pas. Quelle métrique utilise-t-on pour décrire le degré de catholicisme historique d’une région? Mystère. Quelle est sa précision? Aucune idée. Et à quel moment doit-on rappeler que corrélation ne signifie pas causalité?
Il ne fait guère de doute que Todd a apporté une contribution intéressante à la sociologie, notamment en soulignant l’importance des structures familiales. Mais quiconque a une culture scientifique lycéenne devrait être horrifié qu’on ose prononcer le mot science au sujet d’un tel gloubiboulga. On est dans l’affaire Sokal permanente !
Ce n’est pas parce qu’un « scientifique » le dit qu’une chose est vraie. C’est parce qu’il a élaboré une théorie consistante qui énonce des prévisions réfutables qu’un homme a appliqué la méthode scientifique. Le bouquin de Todd est purement et simplement un viol de la science à des fins politiques. C’est assez à la mode.
Sur le reste, je suis une nouvelle fois assez proche de la position de Gatien ou de Courtlaius.
@ Courtlaïus:
Je ne suis pas plus Charlie que vous.
Mais il ne faut pas mélanger deux questions différentes : pourquoi l’attentat contre Charlie a eu lieu, et bien sûr la réponse ne peut être franco-française et doit intégrer la problématique islamiste, et quels sont les ressorts qui ont poussé des millions de Français à manifester alors que l’affaire Merah n’avait pas soulevé les foules.
Todd a me semble-t-il raison sur un point : les manifestations n’étaient pas la vertu républicaine en marche. Ensuite, ses propres grilles d’analyse sont très discutables.
Pour ce qui est de Girard, ce dernier affirme que le dévoilement progressif du mécanisme victimaire fait que celui-ci mute. D’où entre autres la dérive victimaire de nos sociétés. Mais cela ne change rien à la discussion sur Todd.
@ François:J’avoue que je me sens incapable d’évangéliser qui que ce soit, je ne sais pas comment faire et que faire.
Il me semble que Todd n’a pas de prétention « scientifique » dans cet essai, au contraire d’autres de ses publications, en l’occurrence ce sont juste des « impressions » mise en forme analyses et des positions personnelles.
@ Lib : complètement d’accord avec vous (pierre blanche !) : corrélation n’est pas raison ; à ce compte là, on est dans la catégorie des augures et de l’analyse de vols de corbeaux. Par ailleurs j’ai l’impression qu’E. Todd veut rejoindre par sa thèse la théorie des deux France (théorie humiliée par Simon Epstein), auquel cas ça n’arrangerait pas ce dossier.
@Aristote : d’accord aussi ; mais il ne faudrait pas que la vraie question soit mise du coup sous le boisseau. Parce que d’autres attentats du même type vont fatalement survenir de nouveau sur notre sol, le plus important est d’apporter les explications et les outils pour comprendre,, sous peine d’aller de sidération en sidération. Pour le moment aucun travail de ce type n’a été fait en France ; on a juste constaté l’insuffisance (euphémisme) de l’explication sociologique. Et la sociologie est décidément profondément démunie face au phénomène religieux.
La question de savoir qui est vraiment catholique et qui ne l’est pas est très intéressante et très pertinente. Je suis un peu déçu de ne pas avoir trouvé cette réponse pourtant évidente : est catholique celui qui décide de suivre le chemin proposé par le Christ.
Bien évidemment cette définition peut être extrêmement large, englober des non-catholiques au sens sociologique et comme elle inclut une dimension spirituelle elle est difficilement quantifiable selon les méthodes scientifiques en vigueur.
En revanche on peut aussi restreindre la définition à : est catholique celui qui adhère à l’enseignement et à la doctrine de l’Eglise catholique, et notamment au différents points qui sont « de fide » (une douzaine). Cela ne fait pas pour autant des saints ou des gens parfaits mais a minima cela définit des catholiques.
Pour la renaissance du catholicisme « spirituel » que je préfère à « authentique », nous l’avons tous constaté et c’est une bonne raison d’espérer. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer une anecdote :
Un jour que je prenais en autostop un prêtre américain de la Communauté Saint Jean, celui-ci m’explique qu’il est extraordinairement impressionné par le dynamisme spirituel et religieux de la France, qu’il n’y a pas chez lui. Forcément je ne peux m’empêcher de lui faire remarquer que les messes que j’ai vues aux USA étaient blindées de monde ( et c’est d’ailleurs le seul endroit où j’ai vu des Noirs et de Blancs avoir une activité commune), mais qu’ici c’est tout de même un peu plus vide et que son analyse me semble un peu en décalage avec ce que je vois.
Ce à quoi il m’a répondu qu’aux Etats-Unis la pratique religieuse est d’abord sociologique. Si le dimanche le catholique ne va pas à la messe, ses voisins, même protestants, baptistes, évangéliques ou autres, le regarderont de travers parce que eux iront.
Ici cette contrainte est tombée et eux qui participent à la vie de l’Eglise le font dans une vrai démarche de recherche spirituelle qu’ils tentent d’appliquer à leur vie quotidienne. Il oeuvrait donc parmi des groupes, de jeunes notamment, en recherche, qui s’instruisaient sur la doctrine de l’Eglise, qui priaient, qui cherchaient à progresser spirituellement et à vivre en chrétiens. Ce qui à ses yeux était exceptionnel pour le monde occidental et produisait un rayonnement considérable.
Bien évidemment son analyse m’a bien fait plaisir et il est vrai que quand je vois mes petits frères qui se sont formés sur la doctrine sociale de l’Eglise, qui dès leur adolescence ont pu suivre des retraites, des enseignements, des sessions spirituelles, choses bien plus rares à mon époque, on ne peut que constater qu’il y a un réel progrès. La perte des catholiques sociologiques ne peut être qu’une bonne chose si elle est accompagnée d’un développement du catholicisme spirituel.
Cedric G a écrit :
Ce n’est pas un problème de « restriction », mais du contexte de la définition. S’il s’agit de marquer les différences par rapport à d’autres confessions chrétiennes, les points « de fide » ont leur importance, par exemple la présence réelle ou le rôle de l’église vs les protestants.
S’il s’agit de sonder les reins et les coeurs, opération oh combien délicate, les définitions officielles ont sans doute moins d’importance.
Charlie victime expiatoire
Il y avait eu répétition générale en 2011 avec l’incendie des locaux de Charlie Hebdo, et puis il y eut les assassinats de janvier dernier.
En termes girardiens l’affaire est claire comme de l’eau de roche, transparente comme le cristal, pure comme une réaction chimique.
Toutes les caractéristiques d’une crise mimétique, d’un rituel sacrificiel, sont là, d’un bout à l’autre :
– Une période troublée, violente, angoissante, où tous sont contre tous,
– des chenapans multirécidivistes, les humoristes de Charlie Hebdo, victimes expiatoires idéales,
– des sacrificateurs, les assassins, – et une foule qui trouve dans ce sacrifice une occasion de se réunir, de se rassurer, de polariser toutes ses violences entrecroisées dans une seule et même direction, faisant par gratitude de ces victimes des héros, sinon des saints, improvisant des autels au coin des rues avec photos et bougies, communiant dans leur souvenir et même d’une certaine façon, avec ces « je suis Charlie » bien vivants, dans leur résurrection…
Pour qui est familier des écrits de René Girard, tout y est !
Même le fiasco final : l’unanimité n’a pas duré bien longtemps.
Car ça ne marche plus. Car, même incomplètement, nous sommes sortis de la superstition. Car cette prothèse sacrificielle n’a plus le pouvoir de nous aider, sinon fugitivement. Car nous savons, plus ou moins bien sûr mais nous savons, que ni la vérité, ni la justice, ni la raison ne trouvent leur compte dans de telles « solennités expiatoires », dans de tels « jeux sacrés »…
Ce fut en effet une crise religieuse, Todd a raison avec son « Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse », mais pas exactement dans le sens où il l’entend.
Deux universitaires viennent remettre fortement en question ce qu’a pu croire Todd.
Ils soulignent notamment ceci :
ou encore :
Un critique dudit article du Monde
http://www.les-crises.fr/scoop-il-y-avait-15-millions-de-manifestants-le-11-janvier/